Avant-propos et extrait du dernier chapitre du Gracchus Babeuf de Jean-Marc Schiappa, Paris, Fayard, 2023.
AVANT-PROPOS
Lors d’une évaluation des problèmes de la recherche historique sur Babeuf et les babouvistes, nous interrogions : « Une “biographie” de Babeuf est-elle seulement possible (1) ? »
Nous voulions souligner par là les difficultés considérables à notre sens d’une telle entreprise qui ne soit pas déformée ou oblitérée par l’enjeu de débats poli- tiques ultérieurs ; de ce point de vue, l’interrogation est fondée.
Il suffit de lancer n’importe quel moteur de recherche sur « Babeuf », y compris les sites électroniques de publications scientifiques, pour s’en convaincre. François Noël Babeuf est toujours (ou presque) nommé, cité, référencé comme métaphore, mais rarement (pour ne pas dire jamais) comme personnage historique (1760-1797). Surtout, on multiplie les erreurs.
On le désigne comme « premier communiste », ce qui est très approximatif ; « inventeur du mot communiste », ce qui est totalement faux ; « proto-marxiste », ce qui ne veut rien dire (tout ce qui est avant Marx est, étymologiquement parlant, proto-marxiste) ; on le mentionne comme fin d’une lignée, celle de « la grande mémoire de Robespierre, de Saint-Just, des sans-culottes » ; on le situe dans une continuité inexpliquée, « de Marat à Babeuf » ; on peut évoquer « la querelle entre Rousseau et Voltaire, un réveil des mânes de Gracchus Babeuf » ; ou l’insérer dans une accumulation disparate, « ils ont pour noms Socrate, Spartacus, Jésus, Bruno, Galilée, Babeuf », mais on trouve aussi « une seconde tradition que l’on peut qualifier de léniniste (…) bâtie autour d’un événement important de la période révolutionnaire, le procès de Gracchus Babeuf ». Contradictoirement, on l’intègre aussi dans la tradition de ce que l’on a appelé le « socialisme utopique ». S’il s’agit ici de publications récentes, on reconnaît sans peine l’ancienne formule de François Furet et Denis Richet à propos de cette « postérité confuse (2) ». Significativement, un chercheur avait parlé des compagnons de Babeuf comme « écartelés entre un passé mort et un avenir imaginaire, des hommes sans présent (3) ».
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